jean-françois lévêque
tmb solo
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Lundi 18 mai.
Des Houches au refuge de Bel Lachat.
Temps de marche: 4 heures 20.
Dénivelée positive: 1192.
Distance parcourue: 7 km.
Je quitte Dijon dans la matinée. Mon nouveau sac à dos, un superbe Lafuma Mont-Blanc de 73 litres, bourré à craquer, est bien calé sur la banquette arrière de la Volkswagen. J'ai le temps. Le soleil est splendide et, pour éviter l'ennui de l'autoroute, je prends les petites routes pour gagner Genève puis les Houches, où j'ai prévu de laisser la voiture.
Après une traversée riante du Jura, je grimpe les lacets de la Faucille, et, au col, je découvre, formidables, les neiges du Mont-Blanc qui dominent majestueusement le lac Léman. Je m'arrête sur le parking bien commode, qui semble aménagé spécialement pour les touristes qui, au même endroit, sont saisis du même besoin d'admirer la grande montagne.
Le colosse règne impassiblement sur l'univers, énorme et immobile. On a beau l'avoir déjà vu, on est impressionné à chaque fois. Quelle envergure! Quelle masse! Et c'est vers lui que je vais! Oh, assez modestement. Pas pour le vaincre. Pas encore, pas cette fois. Pour l'instant, pas question d'aller égratigner ses grandes bajoues glacées à coups de crampons. Encore moins de piquer un piolet au sommet de sa vaste calvitie. Mon projet est juste d'en faire le tour, à pied, mine de rien, en catimini. Pour tout dire, je ne pars pas seulement faire le Tour du Mont-Blanc en sifflotant d'un air dégagé. Non, il s'agit aussi d'une sorte de reconnaissance, d'une exploration discrète, d'une prise de contact préparatoire. En fait, des coups de crampons et de piolet, je compte bien lui en administrer quelques uns, à lui ou à ses voisins, cet été avec ma mère et de ma petite soeur Sabine. Mais pour l'instant, motus et pas vendre la peau de l'ours.
Je reprends le volant et j'arrive en début d'après-midi à Chamonix pour finir l'avitaillement: carte IGN, nourriture lyophilisée, pain, charcuterie complémentaire etc... Puis à 16 heures 30, aux Houches, je verrouille les portières et abandonne la Golf devant le bureau des guides pour une durée ignorée, sans doute une bonne semaine.
Je me charge, et c'est parti. Je descends d'abord à la gare SNCF (960 m.) avant d'entamer la montée vers le refuge du Bel Lachat (2152 m.), que gravis avec une lenteur inquiétante.
Ce matin, avant de partir, j'avais pesé mon sac à dos, et la balance indiquait un peu plus de 20 kilos. J'y ai ajouté un pain (400 g.), un Yop (750 g.), quatre Maggi Cup (240 g.), un paquet de coppa (260 g.), un tube de lait concentré Pâturages de France (330 g.), et un bouquin acheté à la librairie Landru, évalué à 300 g. Compte tenu de la solitude que je vais vivre pendant une bonne semaine, je choisis un David Lodges heureusement intitulé "THERAPY". Me voici donc parti avec un sac de plus de 22 kilos sur le dos.
20 heures 50. Arrivée au refuge. Fermé.
Heureusement, il y a une grande terrasse en bois, déserte face au Mont-Blanc qui rosit dans le soleil couchant. Le froid est vif et je superpose les vêtements disponibles. La vue est si belle que je décide de ne pas monter la tente.
Rapidement, j'organise mon campement de SDF: dérouler le sac de couchage, allumer le camping gaz, chercher la lampe frontale au fond du sac à dos. Le saucisson offert par ma femme, parfumé et poivré, est un réconfort divin que je mâche avec gourmandise, tout seul sur ma montagne.
Maintenant la nuit tombe, non pas dans le grand silence des cimes mais dans le grondement incessant et regrettable des poids lourds qui se traînent jusqu'au tunnel. J'expédie mon pot de nouilles chinoises au curry, je tète trois goulées de lait concentré en guise de dessert et j'allume une dernière cigarette en contemplant les monstres neigeux d'en face. Deux petites lumières scintillent: l'une à mi-pente, et l'autre à l'aiguille du Midi. Dans le ciel, la voie lactée phosphore vaguement parmi les étoiles.
Vers 22 heures, je m'ensache convenablement et je me rends compte que cette première nuit sera fraîche. Le lendemain, les flaques du sentier avaient gelé.
Mardi 19 mai.
Du refuge de Bel Lachat au village du Tour.
Temps de marche: 8 heures 15
Dénivelée positive: 800.
Distance parcourue: 16 km
6 heures 50.
En croquant dans une énorme tranche de pain d'épice Mulot et Petitjean (Sophie m'en a procuré un pavé d'un kilo), j'attrape d'une narine frémissante le fumet du thé en cours d'infusion. Il y a vingt minutes, le soleil s'est levé sur ma gauche, éclairant le sommet du Mont Blanc. Assis dans mon sac de couchage, je m'offre ainsi le luxe inouï d'un petit déjeuner au lit ET en terrasse. Il fait déjà presque tiède alors que la nuit a été glaciale.
Engoncé dans le duvet réglé façon sarcophage, avec chaussettes de laine, salopette de surf doublée, maillot triboélectrique, polaire et cagoule Pipolaki "juste les yeux", j'étais réfrigéré par le moindre brin de bise qui se faufilait par l'ouverture du sac. Ce n'est que vers deux heures du matin que j'ai compris: je ne pourrais dormir avec ce vent qu'à condition de partager son lit. J'ai donc pivoté de 90 degrés, et, dans le lit du vent, faisant un dormeur beaucoup plus aérodynamique et beaucoup moins réfrigérable, j'ai enfin trouvé le sommeil du juste.
8 heures 15. Départ en direction du Brévent, avec très vite une belle neige gelée. Ambiance hivernale avec grand soleil, premières marmottes. Je passe un peu en contrebas de la gare supérieure du téléphérique et j'entame la descente sur Planpraz par la piste de ski, toute en neige, et je m'offre de belles glissades. Rencontre avec un randonneur solitaire qui m'interroge sur les qualités de mes chaussures Salomon Super Montain 9 Guide. C'est manifestement le genre de type passionné par le matériel. Il porte un curieux short, en filet sur les cuisses et en tissu opaque à hauteur du slip. Il s'agit certainement de ce qu'on appelle un vêtement "technique" et je me sens vieux jeu avec mon short de coton beige. Il s'appuie sur deux bâtons télescopiques et chacune des bretelles de son sac est bien loin de se limiter vulgairement à retenir son bagage. Sur celle de droite remonte un tuyau qui semble pouvoir, à tout moment, amener l'eau à sa bouche depuis la gourde, laquelle doit être rangée, sinon incorporée, dans le sac. Tel un pithécanthrope, je ne puis boire sans d'abord poser mon sac à terre pour ensuite l'ouvrir et en extraire ma gourde, après quoi je suis contraint aux manoeuvres inverses. Sur sa bretelle gauche, un cadran multifonction à cristaux liquides lui fournit les informations vitales: heures, température, altitude, et peut-être rythme cardiaque et nombre de pas effectués. Je n'ai au poignet qu'un vieux chronomètre Swatch en plastique, au verre fendu. Certes, j'ai de belles et coûteuses chaussures. Mais il a l'air un peu déçu quand je lui confie que je n'ai pas d'avis sur leurs performances sur glace, et que je ne les ai même encore jamais chaussées de crampons. Nous nous saluons (à mon "Bonne journée", il répond "Tchaobye") et chacun repart dans sa direction. Je descends rapidement à l'arrivée des remontées mécaniques de Planpraz.
11 heures 15. J'achève une pause d'une demi-heure, passée à étudier la suite du parcours sur la carte et à me prélasser au soleil, cigarette au bec, avachi sur un télésiège immobile avec, il est vrai, la vague crainte que l'appareil se mette en route et me redescende inopinément à Chamonix. Mais il n'en fut rien.
12 heures 55. Arrivée à la Flégère, complexe ski-istique avec refuge, hôtel, restaurant panoramique, téléphérique et autres bienfaits de l'humanité. Il n'y pas âme qui vive.
Je me niche dans l'entrée renfoncée d'un refuge fermé, face au Mont-Blanc, ce qui me permet de zapper hors de ma vue les susdits artefacts, de sécher mes chaussettes au soleil, de déjeuner à l'ombre, et d'envisager une confortable quiétude postprandiale. Las, au bout de cinq minutes arrive une escouade de trois jeunes militaires parlant fort, qui me saluent courtoisement mais s'installent à deux mètres. Je dois donc m'instruire de leurs échanges de vues sur les téléphones portables. "Le Bausch n'est pas mal ouais repasse moi du taboulé ouais surtout avec le pack SFR ouais c'est pas vrai ya plus de jus d'orange nan et tu sais quoi j'ai eu la housse gratuite ah ouais super, etc..." Ils avaient pourtant un vaste choix pour s'installer plus loin. Est-ce l'habitude de la troupe qui leur donne l'instinct de s'agréger, même à un solitaire peu soucieux de lier conversation. Ils finissent heureusement par repartir, non sans m'avoir une fois de plus courtoisement salué.
15 heures. Départ pour les chalets des Chésery, puis descente acrobatique sur l'aiguillette d'Argentière. Le panneau indique "sentier escarpé". En fait ce sentier n'est pas un sentier, mais une longue suite d'échelles de fer, de pédales métalliques fixées dans la roche, de main courantes, de nouvelles échelles. Ce parcours est très amusant, même avec un gros sac.
Cinq heures plus tard, j'arrive complètement éreinté au Tour, dernier village de la vallée, au pied du col de Balme. Affamé et soucieux de dormir dans un vrai lit, je cherche un hôtel. Mais tout est fermé. Je méprise les trois étoiles de l'hôtel des Becs Rouge dont les prix sont peu compatibles avec la quête d'ascèse du randonneur. Heureusement, en arpentant d'un air maussade les ruelles vides du village, je tombe sur le chalet-refuge du club alpin, rustique, simple, et surtout ouvert.
La journée a été rude. Plus de huit heures de marche, sans compter les pauses, et le poids du sac n'a guère diminué. Trop fatigué par calculer la dénivelée sur la carte.
Après une douche chaude délicieuse, je m'habille pour descendre dîner. Salopette de surf anthracite, T-shirt blanc impeccable, et chaussettes de laine vierge portées sans chaussures, font ma tenue de soirée la plus correcte. C'est donc dans cet appareil que je m'attable en griffonant mes notes. La patronne vient d'apporter la carafe de vin rouge qui m'a fait rêver pendant les trois dernières heures de marche. J' ai commandé un demi litre. Je vais tout boire, et ne garantis donc pas la clarté des lignes qui suivent. J'engloutis une délicieuse salade aux tomates et aux noix, avec force pain et je me sens déjà tout revigoré. Demain matin, le col de Balme n'a qu'à bien se tenir!
La salle à manger est tout ce qu'il y a de classique pour ce genre d'établissement, et elle me rappelle les dîners familiaux au chalet du Gioberney, où mes parents nous emmenaient, avec mes deux sœurs, dans les années 70. Beaucoup de tables sont encore vides, nous ne sommes qu'en mai. Trois sont occupées, sur les dix. Ceux qui y sont assis portent de gros pull-over, ou d'épaisses chemises à carreaux, les visages sont burinés, sereins, on cause à voix basse dans le tintement clair des couverts. Derrière les larges baies vitrées qui occupent trois des quatre murs de la salle, il doit déjà faire froid. Je distingue encore une grosse pyramide non-identifiée qui noircit doucement sur fond de nuages roses.
J'attaque mon deuxième verre de vin et je sens la bienveillante chaleur de l'alcool me gagner doucement. Je ne parviens guère à attacher mon esprit à un objet précis. Ce n' est pas le vin. C'est comme ça depuis que je marche. Certains prétendent que solvitur ambulando, et j'ai même entendu que la marche favoriserait la sécrétion d'endorphine, d'où une super-activité du cerveau. C'est sans doute vrai, mais ça ne fonctionne pas du tout pour moi. Quand je marche, mon esprit refuse de se concentrer sur un objectif précis ou de suivre un fil directeur pendant plus de quelques secondes. Des images, des musiques, des formules y apparaissent et se succèdent, incohérentes et inattendues, à la façon des changements de couleur sans logique d'un kaléidoscope.
On pose sur ma table un fabuleux veau braisé avec coquillettes sauce roquefort. Cette nourriture me donne mille fois plus de plaisir que tous les raffinements étudiés que j'ai pu ingurgiter dans des restaurants coûteux. Est-ce la cuisinière? Est-ce le grand air? Dans ces moments, je pense toujours à mon père, qui raconte comment le cuisinier de Napoléon lui avait servi un succulent rôti de corbeaux pendant la difficile retraite de Russie. Une fois de retour en France, l'empereur avait voulu retrouver ces saveurs délicieuses et on lui avait préparé de semblables corbeaux. Mais, sous les ors des salons impériaux, ils furent jugés répugnants et renvoyés en cuisine.
Quant à moi, deuxième tranche de veau et nouvelle ration de pâtes. C'est énorme. Très loin, dans la grisaille, je reconnais la silhouette du téléphérique du Brévent, où, ce matin, j'expérimentais mes premières neiges. A ma demande, la patronne m'indique obligeamment que mon veau braisé n'est pas un veau braisé mais un rôti de porc aux herbes. Le ridicule ne tuant toujours pas, je survis à cette nouvelle.
Troisième verre. Je commence à tourner. Avant de monter dans ma chambre, - il me faudra réprimer fermement de probables titubements - je note quelques moments marquants de la journée: Vu deux jeunes bouquetins vers l'aiguillette d'Argentière (enfin des genres de chamois plus dodus et plus patauds, avec robe sable), gros coup de déprime en descendant le sentier escarpé, envie de prendre le train des Houches, de repartir à Chalon et de revoir très vite Sophie qui me manque.
Quatrième verre. La nuit approche derrière les vitres. Le paysage est maintenant en noir et blanc. Des martinets, - en tout cas de petits oiseaux rapides -, circulent vivement à basse altitude. Mauvais temps pour demain? Ce serait contraire aux prévisions du nouveau super-ordinateur de Météofrance, qui m'a garanti sept jours de beau temps avec accumulations orageuses sur les sommets en fin de journée.
Je verse mon cinquième verre. Je sais que mon vieil ami Jean-Luc trouvera sinistre cet alcoolisme solitaire au bout du monde. Ma femme me le pardonnera, quand elle saura que je pense à elle au moins plusieurs fois par heure, même en montant, même en descendant, et que, parfois, pour avoir des preuves qu'elle est là, je regarde mon alliance et j'en ressens de la joie. Comme la salle à manger se vide, la patronne vient de s'attabler avec grand-mère, fille et mari. Le mari est un quinquagénaire barbu et chevelu, il porte un sweat-shirt fuschia marqué ALPAMAYO. Il a mis un disque de Compay Secundo, ce vieux chanteur cubain de 90 ans, déjà célèbre dans les années trente, oublié depuis, et ressuscité mondialement depuis quatre ou cinq ans. Compay déclare volontiers avoir trois passions dans la vie, les fleurs, les cigares et les femmes. Nous bavardons. La fillette est charmante et bien élevée (pas de hurlements, participe à la desserte des tables des clients, dit s'il te plaît à sa mère...). Journée au grand air, bonne cuisine de ménage, spectacle d'une famille heureuse. Une certaine idée de la France. Au fait, pas vu un seul tag dans les rues du Tour.
J'en grille une dernière puis je lis au lit, seul dans ma chambre à 4 lits superposés. 21 heures 20. Bonne nuit.
Mercredi 20 mai.
Du Tour à Bovine.
Temps de marche: 7 h.
Dénivelée positive: 1450.
Distance parcourue: 15 km.
Bon petit déjeuner. Départ à 8 heures 40. Montée sous les câbles des télécabines, télésièges et téléskis, avec nombreux névés et moult marmottes, jusqu'au col de Balme, frontière franco-suisse, que je franchis à 10 heures 40. Pause chirurgicale de 20 minutes pour extraire de mon gros orteil une écharde attrapée je ne sais où. Descente dans la neige, puis dans une magnifique forêt de sapins, jusqu'au village de Trient. Remontée au col de la Forclaz par un charmant chemin de forêt, gazonné et propret. Au col, j'acquiers un paquet de Chesterfield à trois francs nonante, et au restaurant-hôtel du col, je m'offre une bière en terrasse, puis une assiette de fettucine au lard et au piment, complété d'une tarte à la rhubarbe. Après quoi, petite sieste dans l'herbe, derrière des chalets. Bien emmitouflé d'un pantalon de surf, d'une polaire et d'un gore-tex, je frissone, alors que les touristes descendus du car, en contre-bas, ont l'air d'avoir chaud en simple T-shirt.
15 heures 20, départ. Très lent, très dur, très essoufflé. Est-ce la digestion des pâtes qui concurrence le mouvement des jambes dans la lutte pour l'énergie que mènent les différents organes de mon corps? Le sac me scie, mes pieds sont lourds. Il me faut dix minutes au moins pour franchir au piolet un névé raide et fuyant qui coupe le chemin. Et si, après tout, je n'allais pas jusqu'à Champex? "Oui mais que va dire Tintin?" pensait Milou au moment d'abandonner le sceptre d'Ottokar pour un bel os appétissant. Tenir, serrer les dents, respecter l'objectif etc… Certes, mais je suis en vacances et JE DÉCIDE, de bivouaquer sur l'alpage de Bovine, étable d'altitude, à 18 heures 20. Montage de la tente, provisions de neige à fondre, prélevée sur le névé voisin, et dîner assis sur un rocher: soupe d'asperges en sachet, nouilles asiatiques, Babybel, coppa. Cigarette en scrutant la vallée de Martigny et ce ciel tumultueux qui ne présage rien de bon. Il a plu pendant que je montais la tente, qui, précisons le au passage, est percée de quelques trous aléatoires dans la paroi du fond. Mais je ne peux guère me plaindre. C'est un modèle made in China que j'ai trouvé à Carrefour Chalon-Sud pour la somme ridicule de 80 francs.
20 heures 30. Il semble ne pas devoir pleuvoir davantage. Lecture dans la tente entrouverte, sans autre bruit que le murmure du ruisseau et les oiseaux qui stridulent brièvement.
21 heures 20. Fermeture de la toile et extinction des feux. Sommeil immédiat en forme de coup de massue sur le crâne.
Jeudi 21 mai.
De Bovine à Ferret.
Temps de marche: 7 heures 40.
Dénivelée positive: 850 m.
Distance parcourue: 23 km
Je me réveille spontanément à 5 heures 30 et m'offre une royale grasse matinée jusqu'à 7 heures. Il fait très beau. Petit déjeuner avec thé à l'eau de neige fondue. Autour de moi, l'herbe est encore jaune et couchée. On voit que la neige vient tout juste de fondre et des petites fleurs blanches ou bleues, comme de mini-tulipes courtes et verticales, ont percé le tapis d'herbe endormie. J'en fais une petite provision que je répartis entre les pages de mon bouquin, herbier improvisé, dans l'intention de les offrir à ma femme. Plutôt en forme et guilleret, je range le camp, pendant qu'un feu de bouse séchée s'efforce laborieusement de carboniser mes déchets. Je bavarde un instant avec un vieux randonneur suisse à barbe blanche et pars à 9 heures 20. Il est vrai que ce n'est pas très matinal, et je pense à mon grand-père Auchère, qui, tenant me semble-t-il la formule de son propre grand-père, en aurait profité pour me dire: "S'il n'y avait qu'une seule culotte pour le soleil et pour toi, tu irais souvent tout nu!".Longue descente en sentier sur le Plan de l'Au, puis remontée vers Champex.
11 heures 35. Je viens de commander un panaché à la jolie brunette qui sert à la terrasse du Cabanon, restaurant situé sur la rive du lac. Un peu béat après l'effort, j'observe mon entourage.
Tout au fond, sous le ciel bleu et les cumulus blancs qui commencent à bourgeonner, une vaste collection de cimes enneigées. Plus bas, deux drapés de sapins sombres s'inclinent symétriquement vers les chalets de bois qui, bien rangés, bordent les eaux paisibles du lac. A l'ombre d'un parasol aux couleurs de la bière Cardinal, j'écris sur un guéridon napperonné de rouge, tandis que du fond de ma chope de bière dorée, les bulles, impeccablement alignées en fins convois verticaux, remontent inlassablement.
Mon oreille est bercée par l'accent traînant-chantant des consommateurs des tables voisines. J'entends, derrière moi, qu'on s'interroge sur la nécessité de la crème dans la préparation de la truite, sur le côté, un homme affirme qu'il n'aime la viande que saignante, ailleurs, la serveuse plaisante gentiment avec un couple. Il est midi moins dix. Une certaine paix.
12 heures 15. Je commande des aiguillettes de poulet au curry, délaissant les fondues, raclettes et croûtes valaisannes, dont la composition change trop peu des éternels charcuterie, pain et fromage qui font trop souvent mon ordinaire de randonneur. Me régalant, je me laisse aller à un certain optimisme. Si je bivouaque ce soir dans la montée au grand col Ferret, je pourrais, vendredi, passer en Italie par le col de la Seigne et dormir au dessus de Courmayeur. Je pourrais ainsi, samedi, m'approcher du col du Bonhomme, et dormir dimanche aux Contamines, ce qui signifierait boucler mon tour lundi en fin de matinée. Le TMB en sept jours, au mois de mai, avec équipement d'hiver et de bivouac, voilà qui ne serait pas si mal.
A condition de ne pas traîner! Il faut déjà repartir. Après un bon café, à 12 heures 50, je me bâte soigneusement, j'ajuste mes sangles, je resserre ma sous-ventrière, et, après un bref hennissement mental, je repars d'un trot régulier jusqu'au village de la Fouly que j'atteins quatre heures et demi plus tard.
Voilà déjà 6 heurs 45 que je marche, et ce n'est pas fini. Il faut que je m'approche le plus près possible des premières neiges du col Ferret, afin de les trouver stables et cramponnables demain matin. Ce nonobstant, je m'allonge et me restaure dans un grand pré, au milieu des petits chalets. Beaucoup paraissent très anciens, leur bois est noir et il sont un peu de guingois. J'ai un faible pour les chalets suisses, peut-être parce que j'avais, enfant, un jeu de construction qui permettait, en assemblant de petites poutres, d'en construire d'exactes répliques. Je me régale des saucissons conjugaux restants, agrémentés de pain d'épices (mélange salé-sucré très recommandable). Cet après-midi, j'ai croisé un groupe de randonneurs suisses qui m'ont dit que j'étais certainement le premier à faire le tour cette année. Ils étaient ravis de voir que j'avais ma cuisine et ma chambre sur le dos, et m'ont assuré que je trouverais un emplacement de bivouac idéal au pied de la montée au col Ferret.
De 19 heures 20 à 20 heures 15, je reprends la petite route qui monte à flanc de pente vers le bout de la vallée. Je passe le hameau de Ferret et j'arrive, comme promis, sur un fond de combe herbeux, arboré de bouleaux et de sapins, en bordure du torrent (1775 mètres). J'expédie l'installation du camp et à 20 heures 50, je mets la viande dans le torchon, bien décidé à m'endormir tout de suite.
Dix minutes plus tard, incroyable, commence un puissant concert de tam-tam. J'ai souvent apprécié ce genre du musique, notamment à Paris devant le palais Beaubourg. En pleine montagne, cela me paraît excessivement inopiné. Je risque un oeil hors de la tente. Le ciel est bas et bouché. Ce matin, le vieux sage de Bovine m'avait annoncé une "petite dépression, mais rien de méchant". Je me recouche dans la hantise de devoir tester toute la nuit l'imperméabilité d'une tente Carrefour à 80 francs. Le concert de tambours continue. Je ressors la tête pour fumer une cigarette, et j'aperçois cette fois, un peu en contrebas, deux silhouettes accroupies dans l'ombre. Ce sont les deux percussionnistes. Ils sont montés jusque là (en voiture, il est vrai), pour s'offrir un récital en pleine montagne. Finalement, ça ne manque pas de poésie. D'ailleurs, à 21 heures 30, ils repartent et je referme la tente. Je m'endors alors que les premières gouttes de pluie crépitent doucement sur la toile.
Vendredi 22 mai.
De Ferret à Ferret.
Temps de marche: Environ 8 heures.
Dénivelée positive: 850.
Distance parcourue: Nulle.
Je me réveille à nouveau très spontanément à 5 heures 30, et je m'émerveille de cette matutinalité inhabituelle pour moi. Je pousse la grasse matinée jusqu'à 6 heures 15. Le gaz donne des signes de faiblesse au petit déjeuner. Rangement, pliage de la tente, bourrage du sac et ignition des déchets au feu de résineux, plus efficace que la bouse de vache d'hier.
Parti à 7 heures 15, j'atteins le col à 10 heures, après une montée régulière sur une piste entrecoupée de névés, puis en permanence dans la neige pendant la dernière heure. Le temps est médiocre et le vent balaye de grandes brumes fuyantes entre les montagnes. Trois quarts d'heure de pause et j'entame la descente sur le versant italien, qui est encore plus enneigé. Il n'y a pas de soleil, mais la nuit a été tiède et la neige est très molle. Je descends donc en m'enfonçant les pieds, et sans trouver le chemin qui est enfoui. L'itinéraire est très clair sur la carte. Il faut traverser à flanc pour contourner une barre rocheuse en demi cercle, puis descendre sur une arrête arrondie, avant de plonger vers le thalweg. Mais sur le terrain, rien ne correspond. Comme il ya des pentes raides, je cramponne. Je m'offre quelques glissades sur le fond de culotte, mais, plusieurs fois, je dois remonter car l'endroit où j'arrive ne colle pas avec la carte. Sans parvenir à me repérer, je joue ainsi au yoyo pendant plus de trois heures, dans les névés, les vernes et les massifs de rhododendrons.
Enfin, assez loin, j'aperçois le coin d'une cabane de bois qui dépasse d'une épaule herbeuse. Je décide d'y grimper. Avec un peu de chance, elle aura un nom et je pourrai me situer sur la carte. Et peut-être y aura-t-il de l'eau. Voilà deux heures que je n'ai pas bu et mes forces faiblissent. Je marche cinq pas, m'arrête pour souffler, encore cinq pas, récupération, et ainsi de suite. Un torrent! Je vais enfin boire. Mais il faut renoncer car l'eau véhicule une multitude de paillettes de schiste. Enfin, un quart d'heure avant de gagner la cabane, un ruisseau de névé me permet de remplir ma gourde et mon gosier.
J'arrive donc en mauvais état à la bergerie LI TSAFIOEU à 2104 mètres. A moi le bon hachis parmentier Maggi, a moi les bonnes pâtes napolitaines lyophilisées! J'allume le réchaud qui souffle joyeusement son cercle de petites flammes bleues. Mais je ne suis pas au bout de mes peines. Le souffle joyeux vire rapidement au râle d'agonie. J'ai beau monter le feu, la flamme reprend un bref instant puis s'éteint pour de bon dans une éructation discrète. Je me rabats sur le reste des petits saucissons et le pain d'épices, qui se passent fort bien d'être réchauffés.
Donc, au prochain ravitaillement: une cartouche de gaz CV270, des barres chocolatées (pour le dessert), des abricots secs (carburant musculaire sans rival) , du jambon fumé, un petit saucisson, du bon pain (celui de Chamonix est tout sec et insipide), des fruits frais (pour les vitamines mais à manger très vite à cause de leur poids), des cigarettes et du lait concentré (gourmandise vitale pour le moral).
Repu, je cherche Li Tsafioeu sur la carte, mais il se trouve très probablement sous la légende et je ne sais toujours pas où je suis. Je n'ai aucune idée des cheminements de descente dont je dispose. D'abord hors sentier et sportive, la perte d'altitude devient agréable quand je trouve une bonne trace puis un long névé encaissé dont la mollesse me soulage les genoux. Reste que depuis le col, le paysage ne correspond absolument pas à la carte. Je continue à descendre, guettant le repère fiable qui finira bien par se présenter. Je descends depuis plus de deux heures quand justement, apparaît une belle étable, LA LECHERE D'EN HAUT. Et voilà même un panneau indicateur. Mais c'est l'horreur: ce panneau indique "LA FOULY 30 minutes".
Je veux croire un instant à une farce, mais je me rappelle vite que je ne suis pas en Corse, et qu'il ne doit pas être dans le style des montagnards d'ici d'intervertir les panneaux pour égarer les touristes. Non, tout s'éclaire, mais d'un éclat sinistre. Je n'ai pas franchi le bon col, et je suis revenu vers la Suisse au lieu de passer en Italie. C'est bien ça: au lieu de passer dans la vallée opposée, je suis passé dans la vallée parallèle, que j'ai redescendue en direction de mon point de départ de ce matin.
Je croise même le chemin qui grimpe au petit col Ferret, auquel j'avais renoncé ce matin car la carte montre qu'il passe sur un petit glacier, ce qui me paraissait trop dangereux pour un marcheur seul et donc pas encordé.
Le petit col Ferret est indiqué à 1 heure 50 seulement. Je suis tenté. Il n'est que 16 heures. Si je le passe ce soir et si je marche tard, je rattraperai le temps perdu. Mais je réalise que je suis fatigué et chargé, que je serai lent, que le temps est maussade, et qu'en cas de pépin, je risque de me retrouver coincé toute la nuit dans un couloir glaciaire raide et inconnu. Donc voix de la sagesse gagnante. Je descends à la Fouly, je ravitaille, je téléphone pour donner des nouvelles à Sophie (bonheur) et je regagne le vallon des tam-tam.
Samedi 23 mai.
De Ferret au plan de Chécroui.
Temps de marche: 8 heures 10.
Dénivelée positive: 1280.
Distance parcourue: 24 km
Réveil 5 heures 30, lever 6 heures, départ 7 heures 10. Grand beau temps. Col à 10 heures 30. Descente à 11 heures. Pause à Fondovalle à 12 heures 10, vaste vallée plate avec sapins, gazon, chaleur.
Je m'y allonge confortablement, déchaussé, et j'écris heureux, pendant que T-shirt, chaussures et chaussettes sèchent tranquillement à plat sur l'herbe. Finalement, l'erreur d'hier n'a pas été aussi malencontreuse qu'elle en avait l'air. En remontant au vallon des tam-tam, j'avais le sentiment, nouveau depuis le départ, et délicieux, de me trouver en terre connue, et d'aller dormir presque chez moi. Il y avait là quelque chose de rassurant. J'ai fait un bon dîner, un joli feu, je me suis couché tôt et j'ai lu une demi-heure à la frontale, bien au chaud dans mon duvet. Après une bonne nuit, peuplée de rêves et interrompue une seule fois, je me suis levé engourdi mais dispos, par une température proche de zéro.
Bon petit déjeuner, à base de lait entier, lait concentré, vollkornbrot, pomme, et pour finir, la trouvaille d'hier, le Snickers. Le snickers est une énorme barre énergétique enrobée de chocolat. Elle contient une première couche de nougat, et une autre couche de cacahuètes noyée dans du caramel: au moins 3000 calories à la bouchée, et quel sentiment de satiété et d'énergie une fois la chose absorbée!
La montée se fait vite: la bergerie de la Peule, les premiers grands névés puis la neige ininterrompue jusqu'au Col Trompeur. Je fais le détour et, bien certain d'être à l'endroit maudit, je le conchie. Puis je cramponne et je repars, tout guilleret, jusqu'au grand col Ferret que j'atteins à 10 heures 30. Le paysage est somptueux, la luminosité extrême, et le vent fort et glacial. Je descends quelques mètres pour m'abriter, fume une cigarette et change mon pantalon pour un short humide et froid. Rien ne sèche dans la tente. D'ailleurs, même s'il ne pleut pas, les parois de toile sont régulièrement trempées chaque nuit par la condensation. Deux parades seulement, et relatives. D'abord laisser la tente ouverte, si la température le permet. Et bien tendre la toile, afin que le vent ne la fasse pas battre, sinon toutes les gouttelettes glacées tombent sur le dormeur et ses effets qu'il a tant bien que mal disposés autour de lui. En huit jours, je n'ai jamais enfilé une chaussette sèche.
Je décramponne et j'entame la descente italienne, faite de bon sentier alternant avec des névés débonnaires, parfaits pour courir. En quelques enjambées, je surplombe le restaurant d'altitude Elena, du haut d'une grande pente de neige assez raide. Comme il y a du monde en terrasse, bien emmitouflé, je m'offre le plaisir de descendre ce grand névé à la course, en short et T-shirt, tenant négligemment mon piolet à la main. Une fois en bas, joyeux comme un chiot, je tombe nez à nez avec un randonneur italien qui me salue d'un sonore "salve". Puis cette une jeune fille et son chevalier servant qui me demandent en italien jusqu'où on peut monter "senza i ramponi". J'explique doctement que " per salire va bene, ma per scendere, la neve sarà morbida, sicché puo essere, senno pericoloso, almeno poco confortevole". Pour le coup, c'est moi l'ours de montagne plein de sagesse, le grossus durus qui impressionne. Tout ragaillardi, je poursuis ma descente en m'appliquant à gratifier d'un "salve" tous ceux que je croise, et ils sont nombreux, et souriant. Et je constate avec vanité que les femmes observent mes jambes maintenant musclées et bronzées, alors que les hommes détaillent mes énormes chaussures.
14 heures. Fin de la pause et longue descente par la route, en direction de Planpincieux, puis Courmayeur. La route côtoie un beau torrent régulier, aux eaux étonnamment bleues. Beaucoup de gens (nous sommes samedi), se sont égaillés dans cette nature enchanteresse, qui au bord de l'eau, qui adossé à un rocher, qui à l'ombre des sapins. On pique nique, on repose, on bronze. Certaines femmes sont en maillot de bain, et j'en vois même une, malheureusement un peu loin de la route, qui a manifestement oublié le sien sans en concevoir le moindre souci. Ambiance paisible et riante, puis la chaleur et la dureté de l'asphalte me font presser le pas pour gagner mon but au plus vite.
15 heures 30. Planpincieux. La birra media que j'ai ordinée à la camérière contient un bon demi-litre. Les tenanciers du bar paressent mollement en chaise longue au bord de la petite route qui traverse le village. A chaque passant fusent les ciao, ciao.
16 heures. Je fais remplir ma gourde et je repars à Courmayeur par le sentier, en passant par l'étonnant village de La Saxe, dont les chalets collés, imbriqués les uns dans les autres, forment une masse compacte difficilement perforée par d'étroites ruelles et de curieux passages sous les maisons.
17 heures 30. Arrivée à Courmayeur par le haut du village, et immersion brutale dans la cacophonie de la rue commerçante: une foule d'adolescents se hèle, s'interpelle, plaisante à haute voix, au milieu des passants et des voitures. L'Italie est restée bavarde. Courses (prosciutto crudo, salametto cacciatorini, galetti Mulino Bianco, latte concentrato et PAS DE SNICKERS). Enfin, je vais avoir la pizza qui me faisait déjà saliver en montant au Col Trompeur, il y a deux jours.
J'avise la belle terrasse ensoleillée d'un restaurant, et je m'y installe en attendant sept heures, avant lesquelles on ne sert pas à manger. Puis je me régale d'une copieuse quattro staggioni, arrosée d'un quarto litro di vino rosso, et suivi d'une roborative crosta al mirtillo. Dîner un tantinet mélancolique cependant. Quand la pizza est arrivée, un nuage a subitement caché le soleil, le vent s'est levé et les autres clients sont partis. Je me suis donc retrouvé seul, à coincer ma serviette en papier entre mes cuisses pour que le vent ne l'emporte pas, sans autre compagnie qu'une serveuse moche qui venait régulièrement se planter à un mètre de ma table, solidement campée sur ses jambes écartées, pour regarder en silence la rue vide. Aussi n'étais-je pas mécontent de plier bagage, après un caffè ristrettissimo explosif, pour monter vers mon bivouac au plan Chécroui (20 heures, 21 heures 40).
Dimanche 24 mai.
Du plan de Chécroui au refuge Elisabeta Soldini.
Temps de marche:
Dénivelée positive: 980.
Distance parcourue: 13 km.
Le plan de Chécroui a la poésie des lieux de vacances abandonnés hors saison. Lorsque j'habitais à Canet-Plage, j'aimais parcourir l'avenue déserte du bord de mer, dont les caniveaux disparaissaient parfois sous le sable apporté par le vent d'hiver. Ici, les grandes terrasses des restaurants d'altitude sont vides, et les chaises soigneusement empilées et rangées sous des appentis. Les télésièges sont décrochés de leur câble, et on les a soigneusement alignés sur le sol. Les cris des enfants, le parfum des crèmes solaires et du vin chaud, l'éclat dans les yeux des femmes au passage du moniteur bronzé, le crissement des skis, tout cela est présent, mais comme sont présents les fantômes. On ne les voit pas, mais on les sent, et on croit les entendre dans le vent qui siffle sur les mâts sans drapeaux. J'aime bien.
Je pars assez tard ce matin, car hier, j'ai marché dans la soirée et je veux ménager ma monture. Je grimpe en une petite heure au col Chécroui, puis j'oblique à gauche pour suivre un sentier en balcon à plus de 2000 mètres, jusqu'au lac Combal, que domine (de loin) le refuge italien où je compte dormir. Sur la carte, le trajet paraît court et facile, avec peu de dénivelée. Je compte en profiter pour me délasser les jambes et pour admirer la fameuse face italienne du Mont-blanc, dont Sabine m'a parlé avec enthousiasme. En fait, ce chemin serpente sur une face Nord, très enneigée et il me faut quatre heures de galère pour franchir les pistes de ski et les accumulations de neige qui cèdent sans prévenir sous mon pas, compte tenu de l'heure tardive. J'apprends vite à deviner que la neige est toujours plus molle à proximité des zones déneigées et qu'il faut louvoyer pour éviter ces pièges épuisants. Des dizaines de fois, je me retrouve les deux jambes enfoncées jusqu'à l'aine, avec impossibilité de reprendre pied rapidement car les points d'appui n'existent pas. Une fois le pied sorti, il se renfonce presque autant et il faut plusieurs pas pour retrouver une neige plus ferme.
Comme je suis resté en short et que je n'ai pas pris de guêtres, la neige est abondamment entrée dans mes chaussures et mes pieds baignent dans une eau tiède que je sens circuler entre les orteils. Ce n'est pas si désagréable et je loue les qualités thermiques de mes Salomon, car j'ai marché comme ça plusieurs heures dans la neige sans me faire une ampoule, et surtout sans jamais avoir froid aux pieds. Le cheminement est épuisant, car je ne peux jamais me décontracter. Je m'attends à chaque pas à m'enfoncer brusquement dans la neige. Quand je m'enfonce, je raidis brusquement tous les muscles pour garder l'équilibre et si possible éviter d'enfoncer l'autre jambe.
Je dois maintenant franchir un névé crevassé par le torrent qui coule dessous. Je marche franchement dans le courant puisqu'il ne me coûte plus rien d'y mettre les pieds et de laisser l'eau fraîche s'engloutir dans mes chaussures. Le problème est de remonter l'autre rive. Je vois que je n'ai pas traversé toute la largeur, car il y encore de l'eau qui coule abondamment sous la rive de neige. Je ne prends pas le risque de monter sur la neige, qui peut s'effondrer brusquement, car j'ai peur de me fouler une cheville entre deux rochers invisibles et de rester coincé dans le courant d'eau glacée. J'entreprends donc de démolir le névé à coup de piolet, pendant une petit quart d'heure, jusqu'à découvrir un sol fiable qui me permette de continuer.
Plusieurs moments de découragement intense pendant ce parcours du combattant, mais sans envisager d'abandonner. Je repars chaque fois en me disant que chaque pas me rapproche de la délivrance. Il faut traverser une coulée d'avalanche, puis remonter sur une épaule neigeuse, redescendre de l'autre côté. Je finis par arriver sur la piste du lac Combal, en fond de vallée.
Le temps s'est gâté, le ciel est couvert de nuages gris et un vent glacial accourt du fonds de la vallée. Je me cale dans un recoin plus ou moins abrité et je m'attaque aux transformations nécessaire à ma survie: vidage de l'eau des chaussures, essorage des chaussettes (un demi-gobelet chacune), enfilage du bonnet, de la polaire, du gore-tex, du pantalon de surf et exhumation des moufles. Je ne sais pas si je vous ai déjà parlé des vertus du bonnet. Il s'agit d'un puissant instrument contre le froid, ce que chacun sait. Mais ce qu'on ignore, c'est qu'il protège autant le corps que la tête. Je m'explique: comme la tête est une région du corps vitale, le sang y afflue prioritairement en cas de froid, délaissant le reste du corps, qui, moins irrigué, frissonne encore plus. Il est aussi efficace de mettre un bonnet que d'enfiler un pull. Pour être complet, ceci est vrai pour toutes les extrémités, et gants et chaussettes complètent très efficacement l'action du bonnet. Donc, pour être concret, le randonneur qui a froid a intérêt à ne pas oublier son bonnet, qui est un booster de chaleur.
Je suis au début du lac Combal, qui, en vérité, n'est pas un lac, mais un long marécage froid et humide enserré entre deux versants rocheux. La colossale moraine du glacier de Miage a barré la vallée et, en amont, l'eau croupit lentement. En attendant de pouvoir se faufiler, elle a engendré une immense tourbière jaunâtre, où ne s'accrochent que des arbustes stériles et tordus. Quelques courants profonds et rapides circulent parmi les marais, dont les eaux stagnantes étalent par endroits de larges plages de boues rouges. Il commence à pleuvoir et le vent fraîchît, force 5 avec des rafales à 7. La désolation du lieu est sublime. Je fouille des yeux l'étendue, à la recherche d'un troupeau de rennes, ou d'un renard argenté. Alaska? Patagonie? Je suis complètement ébloui et j'éprouve une ivresse sauvage à marcher contre le vent au milieu de ce désert préhistorique. L'hostilité des lieux est nettement plus excitante que les fleurettes marmotteuses des alpages. J'ai l'impression de participer à une expédition lointaine. Je marche sur une étroite piste en schiste gris, légèrement surélevée, qui traverse les zones humides et fonce vers le bout de la vallée avec la rectitude d'une piste d'atterrissage. Elle est la seule manifestation visible de l'humanité. Ou presque.
15 heures 15. Malgré le froid et le vent, je m'arrête pour pisser au pied d'un sapin en bordure de piste. En relevant les yeux, je découvre qu'on a fixé sur le tronc une petite pancarte jaune. Il doit y avoir longtemps car l'écorce la recouvre en partie de deux bourrelets de bois, comme si l'arbre avait commencé à la digérer lentement. Il y est écrit, en italien et en français, le texte suivant:
A cet endroit se trouvait en septembre 1975 une Volkswagen orange appartenant à un jeune homme à la recherche de minéraux et qui est depuis cette date porté disparu. Il portait un sac à dos jaune et est âgé de 23 ans, mesure 1, 86 mètres, cheveux blonds foncé avec barbe. Qui a vu ce jeune homme et où? Prière de s'adresser à la police de Courmayeur.
Je me trouve donc dans un endroit où je pourrais, moi aussi, mystérieusement disparaître, et où vingt trois années pourraient s'écouler sans qu'on retrouve jamais la moindre trace de moi. Le lac Combal me paraît encore plus lugubre mais je repars vers le Sud en suivant la longue piste grise.
Il pleut maintenant franchement et le vent qui descend du col est toujours aussi fort et aussi froid. Mais "dans mon gore-tex, climat sec et tempéré". La publicité ne ment pas toujours. La piste quitte maintenant le marais et attaque la montée vers le refuge. On distingue seulement deux ou trois lacets qui émergent. Pour le reste, la piste disparaît sous des bosses de neige hautes de plusieurs mètres et je suis donc contraint de reprendre les névés, alors qu'il me semblait en avoir eu une juste ration ce matin. Tout à l'heure, en commençant à franchir les névés et les coulées d'avalanche qui obstruent complètement le départ de la piste, j'avais croisé un bande de jeunes skieurs italiens qui venaient du refuge,- fermé, et m'avaient assuré qu'on pouvait s'y abriter au locale invernale. J'arrive d'abord à des baraquements militaires en ruines, les casermetti. J'aborde le premier. Le béton gris s'effrite, les ouvertures sont béantes, l'intérieur souillé de déchets, et le vent s'y engouffre. Je suis peu enthousiasmé par ce local hivernal. Le vent souffle maintenant du grésil. Pas âme qui vive. Je suis la seule présence humaine. les autres casemates sont dans le même état. Leur accès est défendu par des panneaux jaunes montrant une tête de mort. J'ai soudain le sentiment de tenir le rôle du dernier survivant qui, après un voyage inter- galactique dans l'espace-temps, revient sur terre sans savoir qu'il va y trouver les ruines de l'holocauste nucléaire. Le film serait américain, il y aurait un gros plan serré sur mon visage. Expression très grave, très lucide et bouleversée. Les yeux un peu écarquillés, venant de comprendre l'atrocité de la situation, je dirais (avec un mouvement de lèvres légèrement asynchrone): "Oh ! ... Bon Dieu !!!".
J'abandonne ces lieux sinistres et je grimpe encore quelques dizaines de mètres, jusqu'au refuge, élégant chalet de pierre dont toutes les ouvertures sont obstruées par des plaques métalliques vertes. Je le contourne par la gauche, et je m'intéresse de près à une porte, elle aussi métallique et peinte en vert, qui port l'inscription "INVERNALE". Je fais coulisser la targette, j'ouvre, et tombe sur une deuxième porte, en bois celle-là. Elle n'oppose aucune résistance, je la pousse, et découvre, stupéfait mais ravi, le paradis. Entendons nous. J'appelle paradis une pièce de quarante mètre carrés équipée d'une table, de deux bancs, de trois niveaux de châlits, et surtout de couvertures, de matelas, et d'oreillers.
19 heures. Refuge Elisabetta Soldini. Je laisse refroidir la soupe fumante que je viens d'inventer:
LA SOUPE ELISABETTA
15 minutes - Facile- Economique.
RECETTE POUR UNE PERSONNE AFFAMÉE (OU DEUX NORMALES)
Découpez en dés cinq ou six centimètres d'un saucisson normal et jetez dans la popote. Allumez le feu et ajoutez des morceaux de pain déchiquetés. La graisse du saucisson fond et grésille pendant que les croûtons grillent et se parfument.
Au bout d'un moment (quand ça sent vraiment bon), ajoutez de l'eau froide, montez le feu et attendez l'ébullition. Quand ça bout, ajoutez deux sachets de Minut Soup ROYCO poireau-pomme de terre, et un de bouillon de tomate. Ajoutez quelques lamelles d'Etorki (fromage basque) pour l'onctuosité.
Mélangez bien et laissez cuire à petit feu en remuant.
C'est prêt.
Le truc du Chef: Pour mieux apprécier votre soupe Elisabetta, ne vous lavez ni ne vous rasez d'une semaine, ne vous tenez pas droit sur votre banc mais accoudez vous pesamment à la table et aspirez bruyamment le contenu de la cuiller.
Personne ne vient me rejoindre et je passe dans mon refuge une douce et chaude nuit, tandis que le vent continue à dévaler les pentes glacées vers le lac Combal.
Lundi 25 mai.
Du refuge Elisabeta aux Contamines.
Temps de marche: 12 heures.
Dénivelée positive: 1300 m.
Distance parcourue: 24 km
Lever à 5 heures. Il fait grand beau. Bon petit déjeuner avec jambon fumé de Courmayeur, pomme, banane, galetti et un grand "bol" de lait chaud sucré. Je descends au point d'eau pour les corvées de gourde et de vaisselle, il y a de la gelée blanche sur l'herbe. L'eau sort d'un tuyau, elle est glacée. Ce n'est pas encore aujourd'hui que je vais me raser. Cela me contrarie car, avec ma barbe, je ne dois plus beaucoup bronzer des joues et du menton. Si nous avions de la barbe au nez, ce serait bien pratique pour éviter les coups de soleil sur cet appendice. Idem pour le front, mais on parle alors de cheveux et certains en ont. Passons.
6 heures 30. Je referme soigneusement les volets et les portes de mon local hivernal et je démarre 1 heure 45 de belle montée. Je cramponne au bout de cinq minutes, et je marche d'abord sur la neige d'un beau vallon glaciaire à fond plat. A droite défilent lentement les impressionnantes Pyramides Calcaires. Derrière, le Mont-Blanc est, comme d'habitude, emmitouflé de nuages. Puis j'attaque la pente pour gagner facilement le Col de la Seigne avant neuf heures. Pause sous le grand ensellement de neige, puis descente facile vers le pont de la Ville des Glaciers (1780 m.), que j'atteins vers 10 heures 30.
J"examine la carte. Maman m'a dit d'éviter le col des Fours, et Sabine, si je me souviens bien, a renchéri en me disant que c'était "vachement raide". Oui mais j'observe que la voie du col des Fours est très directe, puisqu'elle me permet de redescendre un peu vers le refuge de la Croix du Bonhomme, puis de traverser vers le col du Bonhomme et de descendre vers Notre-Dame de la Gorge, puis les Contamines. Inversement, si je passe, comme il faudrait, par le village des Chapieux, je m'ajoute un crochet plusieurs kilomètres de route, après quoi je devrai passer le col de la Croix du bonhomme qui dépasse 2400. C'est certes moins haut que le col des Fours qui est à 2665. Mais, à cause du crochet, j'y serai plus tard, plus fatigué et par neige plus molle. Le danger sera donc plus grand malgré l'altitude moindre. Je suis tenté de braver l'interdit matriarcal et d'opter pour le col des Fours. Je le vois d'ailleurs distinctement, tout blanc entre de grandes barres rocheuses inclinées, qui me domine de près de 900 mètres. J'y vais. J'ai le fort sentiment d'entrer dans un domaine interdit où tout peut m'arriver, tant ma mère et ma soeur, relayées par ma femme, ont insisté pour me dissuader. La malédiction des femmes de la tribu est-elle sur moi? Pourtant, en raisonnant, je devrais être au sommet dans quatre heures, au pire, et si la neige est bonne, je ne vois objectivement pas où est le danger. De plus, la pente est moins raide de l'autre côté, si on en croit la carte. J'évacue donc la tempête qui souffle sous mon crâne et je commence à monter la piste qui me conduit à 11 heures 15 à la bergerie des Tufs . J'y déjeune en 45 minutes dans une étable effondrée (2000 m.), et je repars à midi. Je trouve vite la neige qui dissimule complètement le chemin, et je pars hors sentier sur les épaules couvertes de myrtillers, jusqu'à la neige totale. Je me dirige d'après le relief de la carte et je parviens sans trop de difficulté à atteindre l'immense vire inclinée qu'il faut monter jusqu'au col. Elle fait 250 mètres de dénivelée. J'ai cramponné depuis longtemps et je donne des signes de fatigue. Je carbure aux abricots secs que j'avais achetés à la Fouly, et qui sont bien meilleurs que les autres. Je croque de la neige pour me désaltérer. J'essaye de tromper la fatigue en montant en lacets réguliers, à petits pas, en passant d'un pied sur l'autres avec une régularité de balancier d'horloge.
Patience et longueur de temps font leur effet et la vallée se tasse de plus en plus en contrebas, alors que la crête blanche tranche le bleu foncé du ciel avec de plus en plus de netteté. J'atteins le col à 15 heures 20. Comme à chaque passage de col, je m'amuse à fixer la ligne de crête et à surveiller les sommets qui apparaissent progressivement de l'autre côté, d'abord par le sommet, puis par les pentes qui se montrent un petit peu plus chaque fois que le marcheur s'élève d'un pas supplémentaire. Curieusement, ici, j'ai beau approcher sérieusement, je ne vois rien. Puis surgit une structure métallique bien ordonnée, qui se révèle au pas suivant faire partie d'une ligne à haute tension. Puis, d'un seul coup, la chaîne du Beaufortain de déploie majestueusement sur tout l'horizon. Rocher au soleil, défaire le sac, se récompenser d'une bonne cigarette, constater que le temps se couvre très rapidement et commencer la descente vers les Contamines. J'ai le sentiment de toucher au but. Dormir ce soir aux Contamines signifie être à la voiture demain en début d'après-midi. C'est bientôt fini.
Ma satisfaction se mêle à l'appréhension de devoir retrouver les difficultés et le train-train du quotidien. Je m'applique à suivre l'itinéraire, ce qui n 'est pas évident puisque la neige est toujours là et qu'aucune chemin ou balisage n'est visible. Le vent monte et il pleut. Bientôt, c'est la même tempête de grésil qu'hier en montant au refuge Elisabetta. Heureusement, j'arrive au col du Bonhomme (17 heures) et je peux m'abriter dans un mini chalet. En attendant que le temps se calme, je me distrais à lire les centaines d'inscriptions laissées sur les murs par les adolescents qu'on a fait monter là depuis des années. Un graffiti proclame AVive la Cancoillotte@ et c'est à mon avis le plus sensé de tous.
Je repars bientôt pour une interminable descente, dans la neige jusqu'aux chalets de Jovet, puis par sentier et pistes, qui ne cessent de descendre et de plonger vers la vallée. Je dois souvent avaler ma salive pour me déboucher les oreilles. Comme un cheval qui sent l'écurie, je marche pourtant bon train, mais ce n'est qu'à 20 heures 30 que je peux m'asseoir à une table de restaurant où je me régale d'une salade de croûtons et d'un farcement aux pruneaux confits et à la polente. La journée à été longue: de 6 heures 30 à 20 heures 30. J'ai beau retrancher les pauses (30 minutes au col de la Seigne, 15 à la Ville des Glaciers, 45 aux Tufs, 20 au col des Fours, encore 20 au col du Bonhomme, et à nouveau 20 pour téléphoner aux miens que je suis toujours vivant), il reste quand même 12 heures de marche réelle. Au sortir du restaurant, vers 22 heures, je traverse le village et je jette ma tente dans le premier pré venu. La végétation y est haute, le sol est en pente, et il y a des cailloux. Je m'en fous, je ne tente même pas de planter les sardines. Je jette la tente, je me jette dedans, et je m'endors comme un bébé.
Mardi 26 mai.
Des Contamines aux Houches.
Temps de marche: 5 heures 25.
Dénivelée positive: 690 m.
Distance parcourue: 16 km.
C'est le dernier jour. Je prends mon temps et je quitte les Contamines vers 7 heures 30. La montée au col de Voza est charmante. Je traverse des villages enchanteurs, faits de chalets soigneusement entretenus, illuminés de géraniums et de glycines qui courent sur les façades de bois. Un vieux paysan tout courbé sort de l'écurie un imposant cheval de trait et l'amène au pré. Plus loin, au sortir des sapins, je m'arrête pour admirer de belles vaches, grandes et racées, qui viennent me voir en faisant sonner leurs cloches. Bref, une matinée très bucolique. Je passe rapidement dans le vallon des Houches, une fois évité un terrible chien loup qui semble s'être fait un devoir de garder le col, en fonçant sur les randonneurs, en tout cas sur moi, grognement et crocs découverts à l'appui.
Je descends enfin, interminablement, par la piste de ski et je pose mon sac devant la voiture à 12 heures 55. Le TMB est bouclé. Du lundi 16 heures 30 au mardi 12 heures 55, il m'a fallu sept jours et deux demi-journées. En retranchant le jour perdu à Ferret, j'arrive à sept journées pleines pour achever la boucle.
Je n'ai croisé aucun autre TMBiste. Il paraît que le TMB se fait habituellement dans l'autre sens, c'est à dire dans le sens contraire à celui des aiguilles d'une montre. J'en ignore la raison, mais il me semble que mon sens à moi est meilleur. Il permet de se mettre en jambe dans les alpages Suisses avant d'attaquer le plus spectaculaire et le plus dur, à savoir les trois cols: le Ferret, la Seigne et les Fours.
Je démarre la voiture sans attendre. Quand c'est fini, c'est fini et il ne sert à rien de traîner. Je ne sais plus conduire. Je roule à 40 et je suis impressionné par la vitesse. J'ai du mal à tenir ma droite et je dois redoubler de vigilance pour conduire correctement.
Il va falloir se réhabituer à la vie normale.
Chalon-sur-Saône le 11 juin 1998.